LES AIXOIS D’AIX

SERAPHIN GILLY

« L’un des quatre plus grands sculpteurs de la France contemporaine » a dit de lui Maître RIBET, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris

« Soyons reconnaissants aux mécènes officiels – a dit Maître Ribet, bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris – et spécialement à Monsieur Jaujard, l’éminent directeur des Beaux-Arts, qui a compris que Séraphin Gilly était parmi les quatre plus grands sculpteurs que compte actuellement la France. Organisant une exposition artistique française en Europe centrale, à Bratislava, à Brno, à Baden-Baden et à Berlin, il tint à demander à Séraphin Gilly sa participation. Un grand artiste nous est né »

Et ce grand artiste, est à Aix qu’il a vu le jour : Réjouissons-nous.

L’agréable tâche s’imposait au « Provençal » de présenter Séraphin Gilly à ses lecteurs.

Maître Ribet nous dit que Gilly est un compagnon discret et cordial dont la verve très méridionale se fait grave quand il en vient à parler d’art. C’est très exactement l’impression qu’il m’a produite.

Enfant, me confie-t-il, j’ai usé mes premiers fonds de culotte sur les bancs du Lycée Mignet. Ma mère souhaitait que je fusse marin, comme l’avait été mon père. Moi pas. Aix m’avait donné le goût de la beauté antique : les jeux de lumière du ciel méditerranéen me sollicitaient irrésistiblement. J avais été admis comme pupille de la marine sur le « Courbet » et autorisé à suivre certains cours de l’Ecole des Beaux-Arts de Marseille. Je dis adieu au « Courbet ».

Forgeron, mécano, sculpteur sur bois

« Je fis alors toutes sortes de métiers pour vivre. Je fus forgeron, mécano, tourneur sur bois.

« Je montai à Paris. Je n’avais pour tout viatique que mes deux bras et mes deux jambes. J’entrai à l’Ecole des Beaux-Arts, chez Coutant et Landowski. J’eus la chance d’être remarqué par Maillol et par Despiau ». Cher et grand Despiau ! Il tournait un jour entre ses mains dans tous les sens, une « Figure d’enfant » que j’avais faite : « Vous, me dit-il, vous êtes un méditerranéen. Un Parisien ne serait pas fichu de jouer ainsi avec la lumière ». Ce diable d’homme avait décelé, d’un coup d’œil le reflet de cette lumière selon laquelle j’avais arrêté mes traits – La lumière, voyez-vous, ça se modèle comme l’argile…

Mais comment s’en saisir ? Si l’on y réussit, c’est que, dans votre statue, rien ne casse. La lumière la fait vivre. Elle est l’unité magnifique des masses. Que si la lumière casse ce sein ou durcit d’ombre ce ventre, alors il n’y a plus que formes grotesques, que masques pitoyables.

« Mais revenons nos moutons. Je vous disais que j’étais entré à ‘Ecole des Beaux-Arts. J’avais un désir effréné de me constituer une personnalité qui fût bien à moi. Je m’évertuai à ne tirer de l’Ecole que le suc indispensable, la technique nécessaire, que j’accommodai à ma manière.

Premier succès : Le Prix Blumenthal

« La chance commença à e sourire. En 1936, je décrochai le prix Blumenthal…l’équivalent du prix de Rome… trente mille francs à l’époque ; le Pactole pour le pauvre diable que j’étais Je ne m’en montrais pas peu fier. Sondez donc je n’avais que vingt-sept and ! J’étais le benjamin des concurrents.

« J’avais enfin, pris le départ. L’année suivante, je me voyais chargé d’assurer la décoration du pavillon de la Bijouterie, à l’exposition de cette année 1937. Deux ans plus tard, à l’occasion du cinquantenaire du drapeau tricolore, je recevais commande de décorer la place de l’Hôtel-de-Ville, à Paris.

« Après la guerre, je fis partie du petit nombre de sculpteurs que le Gouvernement choisit pour aller représenter la sculpture française en Europe centrale et en Allemagne occupée, à Bratislava, à Brno, à Baden-Baden et à Berlin. J’exposai un peu partout, à Prague, à Bruxelles, à Londres et deux fois à New York.

  • Et à Paris, bien sûr ?

            Au Salon d’Automne et au Salon des Tuileries notamment.

  • Et à la Nationale et aux Artistes français ?
  • Ah ! non. Cela jamais. Je suis contre l’attribution de médailles que font ces deux Salons aux artistes. Les expositions artistiques ne sont pas des comités agricoles.

Séraphin Gilly et Paul Colin

 

  • N’avez-vous pas décoré la préfecture de Meurthe-et-Moselle ?

La salle du Conseil général, ouf, en même temps que Paul Colin. Lui, avait été chargé des peintures, et moi des sculptures. Le thème de cette double décoration était l’Histoire de la Lorraine. Dix personnages m’avaient été imposés : Bassompierre, Callot, l’abbé Grégoire, Drouot, Lyautey, Choiseul, La Tour, Georges Héré, le pape Léon IX et René II. J’appliquai sur les murs des bas-reliefs qui étaient à la fois un mélange de sculpture en relief, cette sculpture étant réservée aux personnages mêmes, et de motifs gravés qui complétaient la cadre où semblaient évoluer les dix Lorrains que je viens de dire.

Un travail d’avant-garde

« Quand à la matière que j’employai, ce fut le sycomore, qui possède à la fois le poli du marbre et la chaleur vivante du bois. C’est la première réalisation de ce genre que l’on ait faite en France. Je me flatte d’avoir accompli là un travail d’avant-garde ».

« Je divisai mon sycomore en panneaux, et j’associai la gravure à la sculpture

  • Comment cela ?
  • Seuls étaient sculptés, en bas reliefs, les panneaux personnages, au nombre de huit ; ceci afin de bien marquer le rôle prépondérant de chacun. Les autres qui ne composaient que l’accessoire, ne furent que gravés. Je traitai le tout avec le plus de sobriété possible et en l’équilibrant bien, de façon que la juxtaposition de ces deux genres ne choquât point l’œil ».
  • Vos projets ?
  • Je viens de terminer la décoration du pont de Blois ; j’ai entre autres choses, remplacé les deux cartouches de Coustau. Je vais m’attaquer à de grands bas-reliefs destinés au Stade Universitaire de Paris.

Au stade d’Aix

« J’ai la promesse d’une commande pour le Stade d’Aix et de deux hauts-reliefs pour l’Institut National des Sports. J’ai fait dernièrement les bustes d’André Marie, de Max Juvénal et du bâtonnier Ribet, ainsi qu’une statue pour l’entrée du Stade de Lourmarin…une statue de femme, un grand nu de plein air ».

  • A quels maîtres vont vos préférences ?

A Vinci, au Griorgione, à Cézanne, à Maillol, à Despiau, à Puget, à Rodin… Les Egyptiens m’emballent, à cause du sens qu’ils avaient des volumes et de la lumière…

  • Puis-je vous demander quelle est votre technique ?

« J’estime qu’un artiste doit bien se garder de copier servilement la nature. C’est l’évidence même, et pourtant : on ne s’y conforme pas toujours. Tout en copiant la nature, on la modifie. Façon comme une autre de donner le change aux gogos, qui prennent cela pour du génie. Au fond ce sont des gens qui n’ont rien à dire, et qui ne se résignent pas à se taire.

« Il est un moment, auquel tout véritable artiste doit s’efforcer à tendre : le moment où la matière sous ses doigts devient vie et où la vie se fait matière. Alors s’accomplit le mystère : la statue a une âme ».

Pour moi, je veux que chacune de mes sculptures se fonde, dans son mouvement en cours, en une âme singulière, pourvue des ses défauts et de ses qualités propres. Je veux, je veux surtout que son geste bouge devant moi.

« Je dis que la sculpture, considérée dans le sens le plus large du mot, est aussi musique.

Elle a son architecture dans l’air : ses volumes se meuvent dans l’espace : elle chante dans le temps : sa durée est musique. C’est cette durée qu’il s’agit de déterminer. Ce n’est pas une petite affaire.

  • Une dernière question, plus terre-à-terre celle-là : venez vous souvent à Aix ?

« Le plus souvent possible…tous les ans pour m’y reposer… Et puis, j’y ai beaucoup de famille… Et surtout, ultime raison « ultima ratio », j’adore Aix…